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jeudi 17 novembre 2011

Leïla et la baleine

De tous les chasseurs de baleines, il était le
plus grand, de tous le plus adroit, et le plus
courageux. Lorsqu'il partait en mer, aucune
baleine, jamais, ne lui échappait, non,
jamais... jusqu'à ce jour de la fin d'un été,
lorsque tout seul et sans capture, au port il
est rentré. Il avait vu, dit-il une baleine
bleue. Il l'avait entendue qui chantait sur la
mer. Le chant était si beau, la baleine si belle,
qu'il n'avait pu lever ses harpons et frapper. Et depuis ce jour-là, jamais plus il ne chasse. Car la baleine bleue, dit-il, est son amie... Et depuis ce jour-là, au village, on ricane. Personne ne le croit. On se moque de lui.

C'était un vieil homme, maintenant. Depuis longtemps déjà, en mer il ne part plus.
Mais sur la digue basse, chaque jour, il retourne, pour voir encore une fois la
baleine si belle. Chaque jour, il l'appelle et veut chanter comme elle. Mais sa voix
est usée, trop faible pour chanter. Et la baleine bleue, non, jamais ne l'entend et
jamais n'apparaît.

Aujourd'hui cependant, il entend une voix légère, et que le vent disperse. C'est
Leïla qui murmure, assise au bord de l'eau.

- Ta voix est douce, petite fille, lui dit le vieil
   homme. Ta voix est claire. Ecoute le chant
   de la baleine que j'ai entendu sur la mer.
   Si tu chantes, la baleine te répondra. Si tu
   le chantes, elle s'approchera et tu
   deviendras son amie.

Alors, Leïla écoute le chant qu'à son oreille le
vieil homme chuchote. Puis, sur la digue, Leïla
chante. Elle chante bien clair le chant de la
baleine, et de loin sur la mer, la baleine répond. De très loin la baleine apparaît, toute bleue, puis s'approche, confiante.

Tout au bord de la digue, la baleine s'avance. Et la voix de Leïla la charme tant
et tant qu'aussitôt, sur son dos, elle invite l'enfant. Et sur la pleine mer, soulevées
par la houle, les deux amies bondissent. Et sur la mer, caressées par le vent,
chantent les deux amies.

Et puis, tout doucement, la baleine revient déposer Leïla auprès du vieil homme.
Enfin, elle s'écarte et glisse au fond de l'eau.
Mais, caché sur la digue, le dernier des
chasseurs, des chasseurs de baleines, les
épie, les surveille. Car il a entendu la petite
fille chanter. Il a vu la baleine, confiante,
s'approcher.

Alors, le dernier des chasseurs attrape Leïla,
la retient et lui parle. Lui aussi aimerait voir de près la baleine, l'admirer toute
bleue, la sentir toute proche. Mais il ne peut chanter. Il ne peut l'appeler. Car sa voix est trop dure. C'est la voix d'un chasseur. Pourtant, il aimerait la voir de près, tout près, afin de devenir son ami, lui aussi... Voilà tout ce que dit le dernier des chasseurs.

Hélàs, Leïla le croit. Tout au bord de la digue, elle
va et puis chante. Elle chante bien claire le chant
de la baleine, et de loin sur la mer, la baleine
répond. De très loin la baleine apparaît, toute
bleue, puis s'approche, confiante...

Soudain sorti de l'ombre, le dernier des chasseurs,
alors, tend ses harpons. Avec force il les lance, et
la baleine bleue par trois fois est touchée, par trois
fois est blessée. Brulée par la douleur, la baleine
se tord, se retourne et s'enfuit. Dans le fracas des
flots, elle s'enfonce dans l'eau. Aussitôt, le vieil homme accourt près de
Leïla. En mer elle veut partir, toute seule et fragile, rejoindre son amie, la soigner, la sauver.

Pour l'aider à sauver la baleine blessée,
aujourd'hui, le vieil homme va
reprendre la mer et conduire au grand
large son amie Leïla. Mais là-bas, au
grand large, la tempête se lève. Le vent
qui hurle et l'eau qui gronde étouffent
dans le bruit le chant doux de Leïla. Et
la baleine n'entend pas la voix claire et
confiante. Mais là-bas, au grand large,
tout le ciel s'assombrit. Et, dans l'obscurité, la baleine épuisée a les yeux tout troublés. Sur la barque, elle croit voir le dernier des chasseurs qui vient pour
achever son travail de tueur.

Poussée par la colère, alors d'un coup de queue,
la baleine renverse la barque légère. Elle la fait
rouler dans la vague écumante, et aperçoit trop
tard... le vieil homme et Leïla. Dans sa gueule
aussitôt, la baleine les recueille. Avec soin elle
les porte au plus proche rivage, sur une île
tranquille, au milieu de la mer.

Là, sur l'île tranquille, Leïla, de sa voix claire,
apaise la baleine. Là, sur l'île tranquille,
doucement le vieil homme retire les harpons. Et la baleine soulagée enfin sourit à ses amis. Mais il faut quitter l'île et retourner au port. Sur la digue, aujourd'hui, on est émerveillé, car tout le monde entend le chant de la baleine. Tout le monde la voit, toute bleue et très belle, qui porte sur son dos le vieil homme et Leïla.

Au village à présent, jamais, non, plus jamais on
ne se moquera. Au village à présent, jamais, non,
plus jamais personne ne chassera.

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